La déception est immense, mais la participation de l’équipe d’Albanie à ce grand tournoi a eu des effets positifs tous azimuts, bien au-delà du football.
Pour commencer, elle a une portée symbolique forte. Tout d’abord, les Albanais, pour la première fois de leur histoire, ont arboré leurs symboles nationaux lors d’un événement commun festif, et ce dans une optique inclusive et intégratrice au sein de la famille européenne. Leur participation à cette compétition sportive a été vécue comme une sorte de délivrance, car elle a remédié au mauvais sentiment historique d’être les mal-aimés de l’Europe. Sensation renforcée par l’existence d’une certaine propagande historique y contribuant. A défaut d’entamer des négociations en vue d’une adhésion à l’Union européenne, cette participation à l’Euro, en tant que nation, a suscité une vraie énergie positive et a contribué à renforcer le sentiment d’appartenance européenne des Albanais. Ce sentiment est largement partagé au sein de la nombreuse diaspora, souvent binationale, et qui n’a pas hésité à se déplacer en masse lors des trois matchs pour soutenir son équipe «Kuq e zi», elle aussi composée en majorité de joueurs issus de la diaspora.
Ensuite, sur le plan de l’image, les matches de l’Albanie ont généré une vague d’empathie envers cette population et les pays qu’ils habitent, demeurés jusqu’ici méconnus, et parfois vus comme des pays culturellement éloignés. Ironie de l’actualité, l’Albanie a même servi d’archétype de pays arriéré et sous-développé par les partisans du Brexit, illustrant ce que deviendrait la Grande-Bretagne si elle devait demeurer au sein de l’UE. Cette arrogance reflète un mépris envers toute une population et une région que le destin historique – souvent conditionné par des facteurs externes – a tenue à l’écart de la famille européenne.
Revenez quand vous voulez
La composition souvent mixte des groupes de supporters, leur comportement fraternel, pacifique, festif et fair-play, même lors des défaites, ont marqué les esprits des citoyens des villes de Lens, de Marseille et de Lyon. «Albanais, revenez quand vous le voulez!», a titré la presse marseillaise. La vague de sympathie suscitée lors de ce rassemblement sportif de haute volée va bien au-delà de l’image stéréotypée largement diffusée sur les réseaux sociaux des deux supportrices qui ont exhibé leur généreuse poitrine afin d’attirer – avec beaucoup de succès – sur elle les caméras du monde entier.
L’attitude de la diaspora albanaise envers la deuxième équipe de l’Albanie, c’est-à-dire l’équipe de Suisse, est exemplaire. Le respect et l’attention démontrés envers la Nati, aussi bien par les joueurs que par les supporters, démontre l’attachement de cette population originaire des Balkans à la Suisse et à ses valeurs. L’effet bénéfique de cette participation sur l’intégration de l’immigration en Suisse et en Europe est indéniable, car elle influence positivement la perception à l’égard de cette population immigrée.
Malheureusement, si la population albanaise a pu se faire mieux connaître et a réussi à susciter de l’empathie en France et au-delà, les autorités albanaises n’ont pas su saisir cette fenêtre exceptionnelle pour promouvoir les ressources touristiques du pays, avec ses 400 km de côtes de mer Adriatique et Ionienne, et un arrière-pays montagneux parsemé de vestiges latins, byzantins, ottomans, sans oublier les traces architecturales plus récentes de la période de dictature communiste.
Coup de main suisse?
La Suisse, qui est aussi de plus en plus présente sur le plan économique, pourrait aider ce pays dans cet indispensable travail de promotion, que ce soit sur le plan de son potentiel géographique, culturel ou historique. Ce pays a su marier harmonieusement l’islam, le catholicisme, l’orthodoxie et d’autres influences religieuses. Le Pape François l’a relevé lors de sa visite à Tirana.
Peu de gens savent que l’Albanie s’est aussi historiquement démarquée par des moments de solidarité insolites, et ce dans des périodes difficiles de l’histoire européenne. C’est l’un des seuls pays au monde où le nombre de Juifs a augmenté durant la Deuxième Guerre mondiale. Grâce à la tradition d’hospitalité et de solidarité de sa population, de nombreuses vies ont été épargnées. En bref, ce pays mérite d’être mieux connu.
Cet épisode sportif de l’Euro marque peut-être le début d’un rapprochement culturel entre l’Albanie et le monde occidental.