Intégration
Aferdita Bogiqi – une femme albanaise (extra) ordinaire dans les montagnes du Valais
Employée de commerce, traductrice, assistante sociale, enseignante spécialisée au CO e tout récemment, engagée en politique. Voici le portrait télégraphique de Aferdita Bogiqi.
La dynamique dans laquelle j’ai mené la conversation avec Aferdita Bogiqi était une illustration de son quotidien. Nous commencons la conversation au Café de la paix, un café cosy, un des plus vieux de Monthey. Aferdita y a ses habitudes: boire un café, lire les quotidiens ou simplement faire un petit break entre deux réunions ou activités. Nous continuons ensuite la conversation dans la voiture, sur le chemin pour amener son fils Daniel en entrainement de tenis, pour la terminer dans sa maison, où elle répond aux questions tout en faisant de petites réparations.
Le cheminement jusqu’en Suisse
Née à Komoran, dans une famille de huit, l’arrivée de Aferdita en Suisse coincide avec la détérioration de la situation politique en ex-Yougoslavie, conséquence directe de laquelle était, entre autres, la fermeture de la Faculté économique où elle terminait ses études.
“ Dans ma famille,étudier était une valeur importante, un cheminement indispensable pour faire sa place dans la société dans laquelle je vivais, encore davantage comme femme” – commence le récit Aferdita. Comme les circonstances politiques rendaint impossible la réalisation de cet objectif, j’ai décidé de venir m’installer en Suisse, dans l’espoir de pouvoir y continuer mes études. Pour autant, les choses ne se déroulent pas comme imaginé : en raison de ce que l’on appelait à ce moment-là “les mesures forcées”, mon père se fait licencier avec comme conséquence, du jour au lendemain, une perte totale des revenus pour la famille. L’histoire avec un grand H allait ainsi dicter mon chemin de vie. Etant le seul membre de ma famille en mesure de la soutenir financièrement, l’urgence devient alors celle de me qualifier rapidement pour le marché de l’emploi. L’école de commerce sera le choix de formation avec à la clé un emploi comme comptable à l’Etat du Valais pendant sept ans. C’était aussi une période où beaucoup de mes compatriotes, arrivés en Suisse comme demandeurs d’asile, avaient besoin d’aide pour différentes démarches administratives: recours, demandes d’autorisation de séjour, traductions, etc.” La connaissance de la langue française et du fonctionnement du système administratif suisse m’a permis de leur offrir cette aide et d’être un soutien dans ce sens.
De comptable à asistente sociale
“ La comptabilité, bien qu’indispensable pour intégrer rapidement le maché du travail et gérer ma vie de manière autonome, n’était pas vraiment une vocation pour moi. Poussée par le besoin d’avancer et de me réaliser personnelement, je décide de suivre des études de Bachelor en travail social, parallement à un travail d’assistante sociale. Le défi est alors de mener de front un travail exigeant, mon engagement citoyen et de m’occuper de mon fils et de ma famille. Ensuite, après onze ans de travail comme assistante sociale, j’ai de nouveau besoin d’avancer et de continuer les études. Ce sera un Master en travail social que je viens de terminer ainsi qu’un DAS en PCEO qui m’a permis de travailler ces deux dernières années comme enseignante spécialisée au Cycle d’orientation.
Ce cheminement quelque peu atypique m’a aidée à élargir l’horizon de mes connaisances dans des domaines variés, à avoir une expérience du terrain et élargir mon réseau social. Quel enrichissement que de faire des rencontres avec des gens de tout âge, de toute nationalité et de toute condition socio-économique !
… la politique comme une évidence
“L’idée de m’engager en politique n’est pas nouvelle mais j’ai toujours pensé que le bon timing pour commencer était l’âge de 50 ans.”, raconte Aferdita avec le sourire. “ J’étais persuadée que pour être plus efficace et légitime comme politicienne, il me fallait acquérir davantage de connaissances théoriques et une expérience solide professionnelle et de vie. D’autant plus que dans le canton où je vis il faut dépasser des obstacles de deux ordres: à la fois en tant que femme et pesonne d’origine étrangère. Étre femme et d’origine étrangère consitute en effet, dans le canton du Valais, deux “handicaps” qui rendent sensiblement plus difficile l’engangement en politique. Il faut du courage pour sortir de sa “zone de confort” et dépasser ses obstacles. Mon engagement politique commence avec le mouvement non partisan Appel citoyen, dont le but était de contribuer à une meilleure représentatitivé des citoyens dans la Constituante valaisanne, chargée elle de réviser la constitution valaisanne, vieille de 100 ans. J’ai eu la chance de me porter candidate et contribuer à faire grandir ce mouvement avec un travail sans relâche durant presque un an à côté de personalités comme Johan Rochel, Jean Zermatten, Florian Evéquoz et de nombreux autres candidats. Continuant sur cette lancée, l’année passée, c’est sur une liste principale du parti Centre gauche PCS que je me suis portée candidate, cette fois-ci au Parlement fédéral. Ces deux campagnes éléctorales de niveau cantonal et fédéral m’ont apporté une précieuse expérience et un réseau plus important encore.
Le besoin de modèles en politique
A la question de savoir ce qui pousse Aferdita Bogiqi de s’engager en politique, elle répond: “ L’idée d’une nécessité de concerver la qualité de vie de tous les citoyens d’un point de vue économique, sanitaire, social et écologique”. Me situant politquement à gauche, pour moi l’humain doit être au centre des préocupations du politique, tout en veillant à garder un équilibre entre la responsabilité individuelle et collective. Je suis persuadée qu’il est nécessaire de créer des conditions pour un meilleur vivre ensemble et j’espère que mon engagement en politique, ainsi que celui d’autres compatriotes contribuera à créer une image positive de la population albanaise en Suisse. Une étude de l’Université de Neuchâtel relève que les ressortissants suisses d’origine albanaise sont discriminés sur le marché de l’emploi et qu’ils doivent envoyer 40 % de candidatures en plus pour obtenir un entretien d’embauche. Il y a là un espace où l’on peut contribuer, à la fois pour améliorer l’image de la population d’origine albanaise en Suisse et en sensibilisant aussi la population indigène sur cet aspect-là. C’est aussi une raison pour laquelle je m’engage en politique aujourd’hui.
La conversation avec Aferdita continue en abordant la question de la participation de la communauté albaise dans la vie politique, comme électeurs ou politiciens. “ J’ai l’impression que les albanais ont besoin de modèles auxquels ils peuvent s’identifier et qui les inciteraient à participer, tant comme électeurs que comme candidats. Durant la campagne électorale de l’année passé, j’ai été surprise de recevoir de nombreux encouragements de la part de la population albanaise mais aussi suisse. Ce sont ces encouragements qui, durant les moments de fatigue et de découragement en lien avec le travail de la campagne et le cumul d’avec mes autres activités, qui m’ont redonné l’énergie et l’envie de continuer ce cheminement”, s’exprime Aferdita. “ Ces dernières années, j’observe des indicateurs tels que le fait d’acheter son propre logement, de s’intéresser et s’impliquer à la vie ici et maintenant, qui montrent que la population albanaise s’installe définitivement et s’implique de plus en plus dans la société dans laquelle elle vit”. Ceci est par ailleurs encore plus prononcé chez la deuxième génération. L’engagement des ressortissants d’origne albanaise en politique comme électeurs ou candidats est dans ce sens, une continuité d’une bonne intégration qui est déjà en chemin.”
Aferdita en dehor de la politique et du travail
“ Ma journée commence par le petit-déjeuner, un moment précieux où l’on échange avec mon fils sur la journée qui commence et où l’on s’encourage à démarrer la journée de manière positive”, décrit ainsi Aferdita une journée habituelle. Ensuite, la journée de travail est ponctuée du repas de midi et un moment d’échange avec les collègues. J’essaie de réserver vingt à trente minutes pour aller marcher, idéalement au soleil et dans un endroit proche de la nature. De retour à la maison, c’est une autre journée de travail qui commence avec l’accompagnement autour des leçons de mon fils, le repas du soir et les tâches ménagères. Le téléjournal suisse du 19h30 est un rituel inévitable, l’occasion de m’informer sur l’actualité suisse et d’ailleurs. L’année dernière, environ deux heures ont été consacrées à étudier et préparer les écrits pour le Travail de Master. Environ une fois par semaine je participe à une assemblée d’une association ou commission cantonale et plus rarement à une activité culturelle telle une pièce de théatre par exemple”, s’exprime Aferdita et termine: “ J’ai toujours été volontaire et s’il faut participer à des entrainements et tournois de foot ou de basket, organisés par l’établissement scolaire où je travaille, je suis partante. Enfin, comme tous les valaisans, j’adore les montagnes dans lesquelles je me ressource en ski, raquettes, ski de fond ou randonnées.”
(Photo: Rromir Imami)
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