Intégration

Deux drames familiaux ébranlent la communauté albanaise en Suisse

En l'espace de deux jours, deux tragédies familiales ont ébranlé la communauté albanophone de la petite ville de Wohlen (Argovie).

En Suisse, comme ailleurs, les violences domestiques amènent parfois au décès de l’un des conjoints. La plupart du temps, les victimes sont des femmes. Il arrive également que le conjoint violent commette un suicide après avoir commis son meurtre. Dans les cas les plus lourds, il ou elle entraine les enfants dans la tragédie. Selon une étude réalisée à l’Université de Berne, de tels cas débouchant sur la mort de plusieurs personnes arrivent six ou sept fois par année en Suisse. Les criminologues ne voient pas de lien de causalité entre de telles pratiques et une origine ethnique spécifique.

Dans la petite localité de Wohlen (Argovie), deux tragédies de ce type sont survenues en moins de 48 heures. Elles concernent toutes deux des familles albanophones. Samedi 25 janvier, Hanka M., âgée de 35 ans et originaire de Kërçova (Kosovo) a été retrouvée blessée par balle. Elle a perdu la vie quelques heures plus tard à l’hôpital. Quant au suspect, si les preuves ne sont pas encore concluantes, tous les indices mènent au conjoint de la femme décédée : Arben M., 40 ans. Ce dernier a été arrêté et est détenu dans un centre psychiatrique sécuritaire en attendant le déroulement de l’enquête.

Dans la même localité, et seulement deux jours plus tard, ce lundi à 19h, un Albanais du Kosovo de 23 ans a poignardé sa compagne de 24 ans. Il a ensuite pris la fuite vers une destination inconnue. La victime est gravement blessée mais sa situation semble être désormais stable.

Devant ces deux tragédies, la communauté albanophone doit-elle s’inquiéter ? Peut-on retrouver dans ces évènements des éléments spécifiques à elle ? Albinfo.ch s’est tourné vers deux experts de la question.

Buçaj-Shehi : « Plus de prévention communautaire contre le crime »

Pour la criminologue albanaise Silvije Buçaj-Shehi, de tels crimes peuvent avoir lieu dans toutes les communautés, y compris la notre. « En tant que criminologue, je peux affirmer que de tels crimes arrivent partout. Il est donc normal que notre communauté vivant en Suisse n’y échappe pas. Ce qui est inquiétant, c’est lorsque de tels évènements se multiplient dans une courte période de temps, comme c’est le cas ici », explique-t-elle. « Nous, les professionnels albanais ainsi que tous ceux voulant le bien de notre communauté, devons nous réunir d’urgence pour organiser des séances de prévention contre ce type de crimes ainsi que des discussions autour de ces sujets », a ajouté Buçaj-Shehi.

Dans les deux derniers cas, un élément fait surface : le mari venait du Kosovo alors que sa femme avait grandi en Suisse. « Sur ce sujet, il faudrait mettre en place des études. Dans le cadre de ma thèse de doctorat, je tente d’isoler les facteurs clefs qui influencent les comportements déviants et la délinquance chez des personnes d’origine kosovare. D’après les recherches que j’ai menées jusqu’à maintenant, je pense qu’il est question d’un grand clivage entre les mentalités et les traditions que connaît une personne ayant grandi en Suisse et une autre ayant encore une mentalité kosovare ou balkanique », explique-t-elle. « Je ne voudrais pas porter de jugement et dire qu’une mentalité est meilleure que l’autre, mais j’émets l’hypothèse que l’union de deux personnes de ces deux profils dans un mariage peut être un facteur à risque pour une relation stable », ajoute Silvije Buçaj-Shehi.

Zeqiri : la violence, résultat des menaces envers des femmes émancipées

« Les différences culturelles et de valeurs peuvent conduire à des cas de violence au sein des couples de migrants. Dans ces cas-ci, les deux auteurs de violences étaient originaires du Kosovo et de Macédoine », explique Hamit Zeqiri, spécialiste des migrations et de l’intégration. Pour lui, les deux drames de Wohlen sont des cas distincts et n’ont rien en commun.

« La jalousie de ces hommes vient de l’émancipation de leurs femmes qui ont grandi en Suisse. Cette émancipation est normale dans un contexte suisse, mais nombre d’hommes ayant grandi dans leur pays d’origine qualifient le comportement de leur conjointe d”’excessif”. Plusieurs cas de figures peuvent déboucher sur des cas de violence conjugale, notamment lorsque le conjoint rejoint sa compagne dans le pays d’accueil et ne retrouve pas le rôle de ”chef de famille” qu’il s’imaginait endosser. »

« Ces phénomènes sont constatés partout et ne sont pas exclusifs à la communauté albanophone. Au sein de la communauté suisse également, les femmes ne sont pas tout à fait les égales des hommes. La violence est souvent utilisée pour soumettre les femmes qui n’acceptent pas les règles du jeu patriarcal. Les évènements des derniers jours peuvent nuire à l’image de la communauté kosovare en Suisse, mais j’espère qu’il n’y aura pas d’instrumentalisation politique de ces tragédies », conclut Hamit Zeqiri.