Femmes

«Cascadeuses», le film qui questionne la représentation des femmes à l’écran

Virginie, Petra et Estelle sont cascadeuses. Elles jouent à être frappées, violées ou tuées pour les besoins d’un scénario. A travers trois portraits, le film de l’Albano-jurassienne Elena Avdija interroge notre rapport à la représentation de la violence sexiste au cinéma. Un documentaire indispensable, à découvrir en novembre.

Elles sont la femme giflée, la femme violée, la femme humiliée, la femme tabassée à mort; elles sont la femme pendue, la femme défenestrée, celle qui se fait brûler sur le bûcher, éjecter de la voiture en marche, traîner par les cheveux dans l’escalier, fracasser le visage sur le capot de la BMW. Elles sont déjà mortes dix fois, cent fois, mille fois. De toutes les façons possibles. Ça les fait rigoler, d’un rire à peine teinté d’amertume, elles qui rêvaient de se battre comme des lionnes et de doubler des héroïnes dans des combats d’anthologie.

Elles sont aussi celles dont on ne voit jamais le visage à l’écran. Celles qu’on laisse poireauter des heures en plein soleil pendant les tournages. Celles qu’on fait chuter du troisième étage en nuisette, sans protection, parce que c’est plus sexy – et tant pis pour les risques et les bleus. Celles dont on oublie de mentionner le nom dans le générique du film. Celles qui font tache dans un milieu longtemps réservé aux hommes. Elles s’en moquent, ou presque, elles aiment l’action, les défis, l’adrénaline. Le cinéma aussi.

Elles sont cascadeuses et, pour la première fois, un film leur rend hommage. Celui de la réalisatrice, jurassienne, Elena Avdija qui, pendant trois ans, a suivi trois d’entre elles dans leur quotidien: Virginie, LA cascadeuse française depuis 25 ans, Petra, Suissesse d’origine installée à Hollywood, et Estelle, encore en formation, qui se lance dans le métier des étoiles plein les yeux. Trois portraits, filmés avec brio et pudeur, pour un premier long métrage tout en finesse et en subtilité. « Il était très important pour moi de ne pas les déposséder de leur image et de respecter leur parole, confie Elena Avdija. Je voulais leur offrir une grammaire cinématographique qui, pour une fois, les mettent en valeur comme de vraies actrices ».

 "Estelle, cascadeuse en formation dans le Nord de la France pendant une séance d'entraînement"
“Estelle, cascadeuse en formation dans le Nord de la France pendant une séance d’entraînement”

Le syndrome de la Schtroumpfette

Un film où tous les coups infligés sont feints et pourtant d’une violence sidérante tant, mises bout à bout, les scènes doublées par les cascadeuses révèlent l’imaginaire violent d’un cinéma qui se plaît encore trop souvent à reléguer les femmes aux rôles de victimes. Même si Virginie, Petra et Estelle ne le voient pas forcément ainsi. « Ce ne sont pas des militantes féministes, elles sont dans le faire. Il y a donc eu tout un équilibre à trouver entre ma grille de lecture, très documentée et théorique, et leur réalité », explique Elena Avdija. Il n’empêche qu’on est loin des doublures d’Uma Thurman dans Kill Bill ou d’Angelina Jolie dans Wanted. Car les héroïnes sont rares à l’écran et les rôles féminins encore largement sous-représentés. On appelle d’ailleurs ça le « syndrome de la Schtroumpfette ».

« Quand les femmes sont impliquées dans des scènes de violence, c’est parce qu’elles se font battre, violer, kidnapper. Il y a toutes sortes de variables pour rendre un produit audiovisuel plus sexy et c’est toujours au détriment des femmes, constate Elena Avdija. On parle beaucoup aujourd’hui de la parole des femmes dans le cinéma, de la façon dont elle est distribuée. Mais comment la violence est distribuée, ça, on n’a peu l’habitude de le considérer. C’est ce qu’explore le film ».

Cet intérêt pour les questions de genre, Elena Avdija, jurassienne d’origine kosovare, le doit en partie à son parcours. Un parcours d’immigration, qu’elle qualifie pudiquement de «complexe», mais qui lui offre aujourd’hui «une lecture plus nuancée de la société et une curiosité qui, chez moi, va chercher dans les rapports de pouvoir», explique-t-elle. C’est d’ailleurs dans des études de sociologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris qu’elle explore d’abord ces thématiques avant de se lancer dans un master de réalisation documentaire à l’INA, l’Institut national français de l’audiovisuel. Après deux courts métrages – D’ici ou de là-bas ?, en 2013, et Option: théâtre!, en 2017 – Cascadeuses est son premier long métrage documentaire. Un film engagé, qui soulève des questions indispensables sur la banalisation de la violence sexiste à l’écran et la façon de la mettre en scène. Des questions aussi bien esthétiques que politiques.

Cascadeuses, d’Elena Avdija, à voir dès le 3 novembre au CityClub à Pully, ainsi que dans toute la Suisse romande. Le film sortira en Suisse alémanique à partir du 17 novembre. 

“Valérie, LA cascadeuse française depuis plus de 25 ans, le visage marqué par la scène de violence qu’elle est en train de doubler”