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Kalzang, ou l’histoire d’un sans-papier pas comme les autres
Certains migrants ne sont autorisés à rester en Suisse ni comme réfugiés, ni comme personnes admises à titre provisoire et doivent donc quitter le pays. À l’occasion de la Journée internationale des migrants, la Commission fédérale des migrations publie un rapport et des recommandations concernant les personnes qui sortent du système d’asile. Le rapport de la CFM fournit des indications sur les profils de ces personnes, la manière dont elles vivent après être sorties du système d’asile, les voies sur lesquelles elles s’engagent et les perspectives qu’elles sont à même de développer. En outre, six portraits donnent « un visage » aux intéressés. La CFM a formulé des recommandations en se basant sur l’étude de l’entreprise KEK-Beratung.
Au moment de l’entretien, Kalzang a environ 25 ans et vit en Suisse depuis cinq ans. Il est né dans un petit village à l’est du Tibet, à environ 4000 mètres d’altitude. Son père est un artisan célèbre et très respecté, qui fabrique des objets de culte pour les monastères tibétains. Cet artisanat local constitue une tradition familiale qui a été exercée par ses ascendants masculins depuis plusieurs générations. Kalzang aussi a donc été formé par son père.
Depuis l’âge de sept ans, Kalzang reçut de son père une éducation mêlant artisanat tibétain, mais également religion et philosophie du boudd-hisme tibétain. Il perfectionna ses aptitudes et ses connaissances en travaillant huit à dix heures par jour dans l’atelier familial, sous les ordres stricts de son père. Il n’eut donc pas le temps d’aller à l’école publique ; ainsi Kalzang devenu adulte n’avait pas une représentation détaillée du monde en dehors de son cercle proche.
En 2013, il y eut dans la région où vivaient Kal-zang et sa famille des événements que son père vécut comme très menaçants. À l’heure actuelle, Kalzang ne sait toujours pas de quoi il s’agissait exactement, ni par quoi son père se sentait mena-cé. Au vu de la situation risquée, ce dernier décida donc de faire mettre son fils unique en sécurité. En tant qu’artisan reconnu et prospère, il disposait de suffisamment de moyens financiers pour payer un passeur qui conduisit Kalzang à Katmandou au Népal dans un premier temps, puis organisa un vol vers la Suisse depuis là.
Kalzang atterrit à Kloten à l’automne 2013, alors qu’il avait une vingtaine d’années. Il n’a jamais été à l’école, ne parlait pas un mot d’une langue étrangère et n’avait aucune idée d’où se trouvent l’Europe et la Suisse. Il savait seulement que des Tibétains trouvent refuge en Suisse depuis de nombreuses années et que la communauté des émigrés est importante. Dans son esprit, lui aussi devait suivre cette voie et chercher la protection de la Suisse en demandant l’asile.
De l’aéroport de Kloten, Kalzang fut conduit dans un centre d’enregistrement et de procédure pour requérants d’asile (CEP), dans lequel la procédure d’asile débuta par les examens et les auditions prévues en pareil cas. Ils furent menés à l’aide d’interprètes et de traducteurs interculturels. Kalzang eut beaucoup de peine à plaider et à défendre sa cause. Non seulement parce qu’il ne maîtrisait aucune langue étrangère et n’avait pas reçu d’éducation scolaire, mais également parce que sous l’effet du stress, il est tétanisé et n’arrive plus à articuler. Tout ce qui le touche émotionnellement de manière désagréable le rend muet. Ainsi, au-jourd’hui encore, il n’est capable de raconter son histoire qu’avec l’aide de personnes familières qui le soutiennent et de supports tels que des dessins et des images, alors qu’entre-temps il parle très bien l’allemand et comprend le dialecte suisse sans difficulté.
Contrairement aux demandes déposées par de nombreux concitoyens de Kalzang, la sienne fut rejetée. Il ne put même pas convaincre les autorités en charge de la procédure d’asile qu’il est effectivement originaire du Tibet et non du Népal, pays duquel il venait lorsqu’il est entré en Suisse. Finalement, une décision de renvoi lui fut notifiée. Il fut ainsi déchu de son statut de demandeur d’asile assorti du permis N et donc de son droit de séjour. Mais comme il ne disposait pas des documents de voyage nécessaires, il ne put être reconduit en Chine. Jusqu’à présent, il n’a pas pu quitter la Suisse parce qu’aucun autre pays sûr n’est prêt à l’accueillir. Kalzang vit en Suisse comme sans-papiers depuis près de trois ans et perçoit l’aide d’urgence.
Depuis son arrivée en Suisse, Kalzang a toujours vécu dans des hébergements collectifs, logé dans des dortoirs de 12 ou de 6 personnes (sept centres en cinq ans). Actuellement, il perçoit une aide d’urgence de huit francs par jour, avec lesquels il doit payer sa nourriture, ses vêtements, ses articles d’hygiène corporelle et les transports. Il ne perçoit cette aide que lorsqu’il dort dans l’hébergement collectif. Dans la journée, il a le droit de se déplacer librement, pour autant que ses moyens financiers le lui permettent.
Il n’a pas de contacts avec sa famille au Tibet, ni par téléphone, ni par courrier. Kalzang se demande si son père l’a oublié, parce qu’il lui appartiendrait de chercher à savoir où se trouve son fils et comment il va.
Après son arrivée en Suisse, le jeune Tibétain entra rapidement en contact avec des bénévoles. Sa personnalité aimable et réservée, son comportement toujours empreint de politesse et aussi le fait d’avoir toujours été hébergé aux alentours de la même ville, ont été un atout pour lui. En dehors des cours de langue, grâce à l’organisation de ces bénévoles, Kalzang put effectuer des stages de découverte dans diverses entreprises. Il s’est avéré que Kalzang est très avide de connaissances, réceptif, et qu’il apprend vite. Il était habitué à travailler longtemps, de manière disciplinée et concentrée, ce qui était très apprécié en entreprise et lui a permis d’acquérir rapidement les connaissances de bases nécessaires en mathématiques et en sciences naturelles.
Une entreprise lui a proposé une formation certifiante, mais les sans-papiers n’y ont pas droit.
Cependant, en tant que demandeur d’asile avec un permis N, il n’a pas la possibilité d’entreprendre un apprentissage. Mais pendant plus d’un an, Kalzang eut la possibilité, en tant que bénévole, de coopérer à l’accompagnement d’un adolescent lourdement handicapé. Grâce à ces activités et à son caractère sympathique, Kalzang s’est constitué un réseau social en Suisse composé de différentes personnes qui encouragent son intégration en Suisse : des bénévoles qui viennent en aide aux demandeurs d’asile, des membres de la famille de l’enfant qu’il accompagne, ainsi que des employeurs et des enseignants. C’est également ce réseau social qui le soutient depuis le refus de sa demande d’asile et la décision de renvoi.
Dans la mesure où il fait l’objet d’une décision de renvoi exécutoire, il n’est pas autorisé à travailler en Suisse, à gagner de l’argent, ni à suivre une formation ou des cours. Il est exclu de toutes les offres d’intégration, puisque selon la volonté des autorités et les directives de la législation suisse, il est tenu de quitter la Suisse le plus rapidement possible. Grâce à son réseau de soutien, il peut exercer son artisanat en Suisse et occuper ses journées de manière utile. Cependant, les produits de son artisanat ne correspondent pas forcément au goût occidental d’un monde sécularisé, c’est pourquoi il est difficile de les vendre. Et lorsqu’il parvient à vendre quelque chose, il ne sait pas gérer l’argent qu’il reçoit. Il offre le fruit de son travail à des mendiants qu’il rencontre dans la rue ou à la gare. Kalzang n’a pas conscience de la valeur de l’argent, ni de son importance en Suisse.
Kalzang, qui a environ 25 ans, n’a pas de perspectives en Suisse – ni ailleurs dans le monde. En tant que sans-papiers, il ne peut pas suivre de formation, ni exercer une activité lucrative. L’artisanat d’art qu’il exerce et maîtrise avec virtuosité n’est pas demandé en dehors des monastères tibétains. De plus, Kalzang a toujours une expression orale inhibée. Dès qu’il est stressé, il est incapable de s’exprimer. Ce ne sont pas de bons préalables pour vivre en tant que sans-papiers. Entre-temps, il a appris à lire et à écrire l’allemand et a acquis les compétences nécessaires pour suivre une formation professionnelle de base. Une entreprise formatrice serait même prête à lui proposer une formation certifiante. Mais pour les sans-papiers, il n’en est pas question.
Rapport CFM_Personnes sortant du système d’asile_Profils, itinéraires (ou échappatoires), perspectives-1
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